MONOLITHES / Jean Marie Baldner .
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MONOLITHES / Léa Bismuth .
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LES NUITS / Léa Bismuth .
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LES PORTES DE LA GLACE / J.-C. F.
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GRAFFITIS COSMIQUES SUR LE MUR DE PLANQUE / FRÉDÉRIC NEYRAT
SOUDAN, EXTÉRIEUR NUIT / Olivier Rolin
L'invisible de Juliette Agnel / Pascal Therme / 10 septembre 2020
Juliette a parcouru ces monts d’Arrée en ethnologue, en photographe inspirée, cherchant à photographier l’invisible, d’où le nom de l’ouvrage où est adjoint encore le mot diskuzh plus sonore, en breton, incantatoire, sorte de formule magique ouvrant le regard, présidant à l’éveil d’un monde derrière un monde, d’une réalité invisible issue d’une réalité visible, portrait méta-psychologique d’un enchantement, d’une surr-éalité aussi.
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Feuilleton : tentative d'approche de l'être-femme-artiste (avec Réjhane Lhote et Juliette Agnel) / Léon Mychkine / 17 mars 2020
« L: Je réponds que, déjà je ne comprends pas trop le débat dessin/peinture, et pourquoi la peinture serait plus privilégiée. Moi, je pense que ce que j’aime dans le dessin, c’est l’extension de la main ; c’est très spontané, très direct, et on ne peut pas mentir.
M: Et la peinture, ce n’est pas l’extension de la main ?
L: Dans la peinture, on pose une idée, on l’articule. Je trouve que la spontanéité du dessin est vraiment, pour moi, très importante, et j’aime le geste qui reste. Ce geste premier — que je trouve dans le dessin —, fait que c’est ma pratique privilégiée.»
Dans son Histoire des Animaux, l’admirable Aristote écrit que « la main est l’outil de tous les outils. Car elle est pour ainsi dire un outil qui tient lieu des autres. C’est donc à l’être capable d’acquérir le plus grand nombre de techniques que la nature a donné de loin l’outil le plus utile, la main.» Certes. Et puis, il y a ces pages admirables dans lesquelles Leroi-Gourhan (Le Geste et la Parole) exprime l’extraordinaire et véridique idée d’après laquelle l’outil est une sécrétion : «…nous sommes parvenus à cette notion de l’outil comme une véritable sécrétion du corps et du cerveau des Anthropiens. Il est logique, en ce cas, d’appliquer à un tel organe artificiel les normes des organes naturels ». Ce qui est intéressant, dans le dire lhotien c’est le fait qu’elle en oublie quasiment l’outil, mais, si nous suivons à l’instant ce que vient de nous rappeler, ou de nous apprendre, Leroi-Gourhan, la parole lhotienne est logique. En, effet sa réponse confirme la pensée du grand archéologue : entre sa main et le support, pour ainsi dire, il n’y a rien, rien d’autre qu’un outil (son corps), traçant.
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Réflexions sur le dire de Juliette Agnel / Léon Mychkine / 7 janvier 2020
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Entretien avec Juliette Agnel / Léon Mychkine / 5 janvier 2020
Juliette Agnel : Oui. En fait c’est la poursuite d’une série, qui s’appelle “Les Nocturnes”, que j’ai entamée en 2017, dans les Pyrénées et en Espagne, et en fait je ne savais pas du tout que j’allais faire des montages, parce que le montage, en soi, ne m’intéressait pas du tout, mais c’est la contrainte qui m’a obligée à ça, parce que je suis tombée dans un endroit où je me suis dit que ce devait être là, absolument. Et à cet endroit là il n’était pas possible de rester la nuit.
LM : Et pourquoi n’était-ce pas possible ? C’était dangereux ?
JA : Parce qu’il y avait un camp militaire au centre, et c’était zone interdite. Donc j’ai fait les photos quand même, en me disant que j’allais les transformer plus tard. Du coup, j’ai pris en photo le ciel étoilé au dessus de ma tête, et je l’ai basculé à la verticale, comme du sol au plafond, pour ainsi dire. Et cette pratique là m’a permis de faire exactement ce que je voulais faire, et qui était de donner un paysage assez étrange, et plutôt proche de ma quête, ou alors de la gravure. J’ai pas mal pensé aux gravures que l’on trouve dans les livres de Jules Verne, entre autres, qui m’intéressaient, que je cherchais, sans savoir comment y arriver. Et cette contrainte, qui m’a surprise, m’a finalement permis de faire ce que j’avais en tête. Du coup, je réitère, je répète quelque chose que je connais, de l’ordre de l’assemblage de deux images, entre jour et nuit. J’ai une banque d’images d’étoiles, que je fabrique tout le long du voyage pendant les nuits, et à un moment, je cherche quelles étoiles fonctionnent bien avec tel paysage.
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La photographe Juliette Agnel au Château de Chaumont-sur-Loire / Léon Mychkine / 5 janvier 2020
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Une 3ème édition réussie pour Chaumont-Photo-sur-Loire 1/3 - Bae Bien-U et Juliette Agnel / Pascal Therme / 26 novembre 2019
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Chaumont-Photo-sur-Loire / Pascal Therme / 22 novembre 2019
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Les vertiges ascensionnels de Georges Bataille / Guillaume Lasserre / 15 septembre 2018
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Art Press 2 / Marie Chesnel / Septembre 2018
L'épaisseur du temps / Jean-Marie Baldner / 25 juin 2018
L’exposition est un jeu de correspondances. L’accrochage est organisé autour de la mise en écho de deux laps de temps (Time Lapses) projetés sur deux tirages papier mat à dos bleu :
– Focalisé par le vignettage de l’image, un nuage, blanc dense, occupe le ciel bleu. En suspens d’immobilité, il vibre sur la lande ; il palpite doucement, s’ouvre et se referme au rythme transitoire de la lumière du jour.
– A quelques pas, le ciel au dessus de la montagne, en fusion de jour et de nuit, explose d’étoiles. Quelques nuages translucides troublent insensiblement la voie lactée ; les étoiles filantes se fichent dans la minéralité d’un « paysage extrême ».
Les deux projections animent l’arrêt sur image. Elles induisent la respiration des séries adjacentes, leur poétique du mouvement dans l’immobilité ; elles allèguent la quête de fictions pour représenter le réel.
Côte d’Ivoire, Guinée, Niger, les routes ont la couleur des régions et des pays traversés, la couleur d’un temps du voyage (Laps 2003-2005). Derrière les vitres du bus, Juliette Agnel a suivi le défilé des paysages. Elle a observé les routes dans le temps, toujours différentes et toujours semblables. Au tempo de la pensée qui dérive, elle les a imaginées être et s’effacer, entre regard et rêve. Elle les as filmées.
Après coup, photographiées sur l’écran de visionnage d’une monteuse Super-8, les images montent en grain, acquièrent une facture chromatique spécifique, rehaussée par le vignettage. Six tirages de moyen format, présentés dans un cadre de bois noir, rendent au visiteur cet état particulier d’attention composite et fusionnelle, la sensation d’une durée distendue entre le présent et la mémoire. La couleur est à la fois couleur du temps d’engendrement de l’image et couleur de la condensation des temps, le temps des paysages traversés et le temps du cheminement intérieur. Entre réalité et fiction, l’image se nourrit d’histoires intimes à composer et de narrations à imaginer.
En 2011, lors d’une résidence « Ecriture de lumière » Ile-de-France auprès de lycéens, Juliette Agnel imagine et conçoit un dispositif de vision destiné à appréhender, à la prise de vue, dans l’espace de la chambre noire, les temporalités de l’apparition et de la fabrication de l’image entre-deux du fixe et de l’animé, de la vidéo et de la pose. Oxymore technique, la camera obscura numérique est autant une appréhension du réel par sa mise en fiction qu’une pratique réfléchie de l’histoire du médium. Il ne s’agit pas pour Juliette Agnel de réactiver des pratiques anciennes, pictorialisme ou autochrome, mais, en prenant la pleine mesure de l’histoire et de la possibilité des techniques, d’expérimenter, dans la confrontation de la durée et de l’instant, la rencontre improbable et nécessaire d’une technicité poussée à ses limites et d’une sensibilité au doute et au flou entre maîtrise et lâcher prise, d’un intérêt pour la prise de vue unique, ouverte à l’aléatoire et à ce qui advient.
Stabilisée sur pied ou amarrée au toit d’une voiture, à distance variable de son référent, la camera obscura numérique de Juliette Agnel s’est posée sur les paysages iliens de Norvège, a parcouru l’Islande, a pris le temps de portraits au Mali, en Corée ou en France.
Dans le ciel bleuté des « paysage de l’extrême », dans celui des « étoiles pures », la nuit remue de sa forme primordiale, frémit du silence vibratile de milliers d’étoiles et de planètes. Aux tempi des Nocturnes ( 2017), les paysages s’ouvrent sur l’infini, le plein et la disparition, étranges et familiers à la fois dans l’entremêlement diurne et nocturne de temporalités. Juliette Agnel diversifie les supports et le dispositif d’exposition de cette cosmogonie, respiration du monde et respiration intérieure, où les forces telluriques s’affirment et s’échappent dans le même moment : tirage sur papier duratrans, sur papier mat dos bleu, tirage lambda…, grands formats épinglés, caissons lumineux rétro-éclairés par des leds, projection de laps de temps sur photographie, moyens formats posés à plat dans une vitrine. Là où tout se mêle, sur la surface photographique, à la frontière du regard et du rêve, elle invite le visiteur à s’immerger dans une paisible et dérangeante ambiguïté au mitan de l’extériorité et de l’intériorité, elle l’amène à douter du statut de l’image par l’irruption déstabilisante du mouvement dans l’immobilité.
Ø (île) (2013), réalisé lors d’une résidence photographique sur l’île d’Halsnoy en Norvège, est une invitation au voyage, réel et initiatique, à l’écoute de la respiration des temps lointains et présents. Le mouvement du nuage à la lenteur calculée d’un laps de temps instruit le regard vers ce que nous ne voyons pas dans l’immédiateté des images épinglées sur les murs blancs, vers la contemplation étonnée des confins entre durée et fugacité, entre l’être-là et l’absence. Le grain de la surface photographique, le vignettage donne aux images la dimension onirique d’une maturation intime des émotions. Les paysages et les intérieurs s’entrouvrent à la fois à la méditation et à de multiples récits qui font s’effleurer et se frotter les mémoires passées et les mémoires présentes, se fréquenter les habitants des temps anciens et récents.
Coréennes (2009), deux grands portraits, cadrés serrés en frontal, est l’histoire d’une rencontre. Le léger flou comme une respiration, la couleur, la texture et le grain spécifiques du Polaroid, la matérialité et l’unicité d’une image dévoilée en lenteur, traduisent à la fois la liberté du modèle de bouger dans le cadre, le temps de la pose, et le dialogue des intimités dans un moment de partage non figé. Juliette Agnel convie le visiteur à s’arrêter, à faire silence et à se mettre à l’écoute des témoignages de Bokyeul et Jiyoung, des histoires de femmes au quotidien, livrées à leur fils et frère, sur leur existence et leur place dans une société qui subit les écarts et les tensions entre modernité et traditions. Elle l’appelle, étranger ou proche, à la disponibilité à ce que l’autre lui dit, les modèles comme la photographe, de leur cheminement intérieur. Dans le même temps, le choix du dispositif, un dos Polaroid sur une chambre 4 x 5 inches, la qualité du cadrage et du rendu l’emmènent vers un questionnement approfondi sur l’objet photographique, le statut et l’esthétique de l’image, sur son silence et sa voix à inventer.
Une rue de Bamako, Mali. Juliette Agnel installe sa camera obscura numérique, en sensibilité à l’histoire et à l’esthétique revisitées des studios photographiques (Les Enfants de Bamako 2011). Le moment, étiré, est onirique. Il se nourrit de la complicité de la photographe et de ses modèles, un jeu de proximité et d’altérité. Entre pause et pose, les trente tirages argentiques réalisés d’après les fichiers numériques, accrochés sans cadre, affichent la fragilité visuelle d’un temps dilaté. Le buste, pris dans un flou de soi qui dévoile les jeux de proximité et d’altérité avec la photographe, se détache en halo sur un fond noir. Regards partagés, le léger bougé sollicite l’exploration des temporalités de l’image, la texture, la lumière, les couleurs celle de son statut.
La route est un sujet récurrent chez Juliette Agnel, d’Afrique ou de Scandinavie. Sur la route islandaise numéro 1 (Islande # 2), la camera obscura numérique a remplacé le film Super-8 et sa postproduction. Fixée sur le toit d’une voiture, la machine de vision enregistre le parcours sur la route circulaire. L’intimité au paysage, le regard libre à la rencontre et à ce qui advient, la pensée vagabonde s’ouvrent à la narration et aux temps du rêve d’un nouveau « road movie ».
Qu’elle entre dans l’infiniment grand avec les « paysages extrêmes » ou dans les temps du mouvement intérieur, le travail de Juliette Agnel s’affirme à la fois comme une anthropologie visuelle et comme une poésie du monde. La camera obscura numérique, par la lecture de la réalité en fiction et en mystère dès la prise du vue, en est l’instrument d’écriture, l’expérimentation d’une vue du temps à travers, dans l’entre-deux, offrant au visiteur la liberté d’inventer le réel.
Le réel ne suffit pas / Fabien Ribery / 10 juin 2018
Voilà pourquoi le monde scientifique la passionne, pour ses découvertes, sa rigueur, ses folles ambitions.
Il ne s’agit pas pour elle et les chercheurs qui la fascinent de cartographier simplement les objets de la réalité, mais de plonger véritablement dans une dimension où l’espace et le temps deviennent des mystères profonds.
Son travail relève ainsi de la notion de sublime, d’une disproportion ordonnée échappant au discours pour faire entendre la tonalité d’une parole sans traduction possible, qui est au sens fort un ravissement, un enlèvement, un rapt de tout l’être.
Comment entendez-vous la notion de paysage extrême ?
Le paysage de l’extrême, c’est un peu le bout du monde, là où la terre a encore le dessus sur l’homme, et où l’on sent bien que les forces telluriques sont présentes, visibles, palpables, voire même potentiellement dangereuses. Un peu comme quand on est près d’un volcan qui pourrait s’activer. C’est un paysage primitif, chaotique, là où tout nous échappe. Un endroit où tout se mêle, même à l’espace, où tout est bouleversé, renversé. Un déchirement primitif.
Je lis une chose sur Kant qui m’amène à copier cet extrait : « La première phase dans la cosmogonie de l’auteur de la « Théorie du ciel » est le chaos. C’est lui qui succède directement au néant. Il se caractérise par un état de la matière en décomposition et au repos. Deux mouvements doivent alors intervenir pour que l’univers se structure : un mouvement de condensation de la matière d’une part, et un mouvement de rotation d’autre part. »
C’est peut-être ça que je cherche dans le paysage « de l’extrême ».
La photographie telle que vous la concevez et l’aimez relève-t-elle de la stupeur et d’une indifférenciation entre les ordres de grandeur ?
Oui, on peut dire ça, elle relève d’une fascination de la vie, ou du mouvement de vie. Notre œil est façonné par nos connaissances et nos ignorances. Le monde est d’une variété infinie, et nous n’en voyons qu’une partie infime. Peut-être même que nous n’en voyons rien de ce qu’il est vraiment. Il faudrait pouvoir voir à travers. Et pour cela, oublier ce qu’on connaît déjà. Évidemment, dans l’observation profonde, de la nature par exemple, les échelles sont mélangées.
Scruter le développement du minuscule, entrer dans le temps et dans la décomposition du mouvement, est du même ordre que d’observer l’infiniment grand et le mouvement des étoiles. Je poursuis depuis plusieurs années un travail corporel sur le mouvement intérieur qui s’assimile de façon évidente au mouvement présent dans les plantes par exemple ou au mouvement des astres.
Que vous apporte l’utilisation de la camera obscura numérique, outil que vous avez conçu en 2011 à la Maison du geste et de l’image (Paris) ?
La camera obscura numérique m’a beaucoup apporté sur le rapport au réel. La transformation de l’image directement à la prise de vue est une poésie immédiatement appliquée sur le monde tel qu’il est, et la matière est le premier Geste de l’image. J’ai trouvé une appréhension du monde qui me convient, un travail pictural, au plus près de l’évocation. Elle m’a permis d’une certaine façon de regarder « à travers ». Dans les portraits (Les éblouis) notamment, j’évite ainsi les questions liées à la brutalité et à la crainte de l’image de soi puisque j’emmène les participants vers une dimension plus onirique et intérieure.
D’une façon générale, vous êtes très proche du monde scientifique, des anthropologues, des astrophysiciens, cherchez-vous à rapprocher et faire dialoguer esthétique et sciences ?
Je suis complètement fascinée par le monde scientifique, par les découvertes permettant d’élaborer des connaissances sur le monde, et par les modalités de travail des chercheurs. Je suis frappée que leurs discours et leurs travaux proviennent de l’émerveillement de la nature, du rêve, ou de la magie des formes…
Le monde scientifique est très proche, par son approche, du monde artistique. Ce sont des observateurs intenses et minutieux, des personnes que la nature surprend et enchante. Toutes leurs recherches débutent par l’observation précise, comme les guérisseurs qui puisent leurs connaissances dans l’observation de la nature.
Par contre, je dois dire que j’ai aussi été dérangée à une époque un peu lointaine maintenant, du refus profond pour certains anthropologues, d’inclure la dimension esthétique comme élément de fond. J’y ai été confrontée avec un petit film que j’avais réalisé en pays Dogon en 97 que j’ai refusé de traduire pour laisser le spectateur s’approprier les sons et la langue.
Quelle fut l’importance dans votre parcours intellectuel et artistique de la rencontre avec Jean Rouch ?
Jean Rouch était un homme qui pratiquait la liberté et le jeu dans son travail de cinéaste. Grâce à Flaherty et à son histoire personnelle, il a compris qu’il fallait manipuler la réalité pour la mieux voir.
Il faisait tout au présent. Le rêve était son outil, et ses techniques inventées avec les moyens du bord lui ont permis de nous révéler une partie du monde.
Découvrir les gestes d’une danse secrète des Dogons grâce à un ralenti subtil et inattendu, pouvoir observer frontalement l’état de transe, filmer la mise à mort sacrificielle d’un animal comme on filme un paysage, j’ai pu avoir accès à un monde grâce à lui plus qu’aucun autre cinéaste documentaire. Regarder ses films et l’écouter parler de son expérience est une leçon de vie.
Vous êtes représentée par la Galerie Françoise Paviot (Paris) dont on sait le rôle historique pour la reconnaissance des primitifs de la photographie. Vous concevez- vous ainsi comme une expérimentatrice des premiers temps de la photographie ?
Je me vois en effet comme une expérimentatrice ou exploratrice de la matière photographique, mais certainement pas des premiers temps de la photographie puisque les expérimentations n’ont jamais cessé. D’autre part, en ce qui concerne mes expériences, par exemple avec la camera obscura numérique, elles ne pourraient pas avoir eu lieu si le numérique n’existait pas. Je manipule la matière photographique grâce à tous les outils qui existent, peu importe à quelle histoire ils appartiennent, tant qu’ils m’aident à fouiller et transformer le réel. J’aime avoir la liberté et le choix.
Qu’appelez-vous ou appelle-t-on les étoiles pures ? Pourquoi un tel intérêt pour les astres ?
Les étoiles pures, ce sont les étoiles que j’ai photographiées sans contexte, lorsque je cherchais à produire une œuvre pour l’exposition L’Eternité par les Astres [commissariat Léa Bismuth].
Au départ, je les ai photographiées pour les associer avec un socle terrestre, puis j’ai eu envie de les voir seules, pures.
La nuit est la première épreuve de l’enfant. Et les paysages célestes sont un trait d’union entre l’espace et le temps. C’est un rappel des éléments qui forment le principe de la photographie.
Je repense à mes expériences au Pays Dogon lorsque sur le toit de ma maison, j’avais le ciel noir et étoilé à 365 degrés autour de moi. Et je me perdais dans l’échelle de l’espace et je ne savais plus si l’espace était proche ou lointain. Le ciel noir et profond m’entourait entièrement, et j’étais seule dans cet « univers-île » (encore une référence à Kant via Humboldt).
Juliette Agnel – AIC / Sarah Ihler-Meyer / 2018
Les Nocturnes / Léa Bismuth / 2017
Juliette Agnel / Léa Bismuth / 2016
Ø (île) / Maria-Laura Cavaliere / 2013
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Les Éblouis / Michel Poivert / 2012
Juliette Agnel / Claire Saillard / 2012
Partie avec ses pinceaux arpenter différents pays d’Afrique, Juliette Agnel revient en France munie de photographies riches de ses rencontres, de son expérience. La série Laps témoigne du passage d’un médium à un autre, à savoir de la peinture à la photographie, sans toutefois abandonner complètement le premier. La facture lumineuse, chromatique, granuleuse des photographies de Juliette Agnel sont autant de rémanences du médium pictural adopté par l’artiste pendant de nombreuses années. Si l’approche photographique suppose une immédiateté, l’artiste déjoue les codes de ce médium pour travailler dans la durée. L’expérience photographique de Juliette Agnel est celle du temps, de la distance nécessaire pour appréhender le réel. C’est en photographiant à l’aide d’une pellicule argentique des images déjà enregistrées sur la pellicule du film en Super 8 que l’artiste aboutit aux photographies de la série Laps. Ces images témoignent d’un phénomène de maturation. L’artiste s’insinue dans le temps : des mois voire des années peuvent s’écouler entre le moment de la première prise de vue et l’œuvre finale. Ainsi, les photographies portent en elles l’expérience de la durée, témoignent du temps de la production. Le processus est essentiel en ce qu’il révèle l’essence même de ces photographies. Le travail réalisé en Islande révèle à son tour la position de retrait adoptée par l’artiste. Agnel filme, à l’aide d’une camera obscura numérique, la succession de paysages depuis la route qu’elle emprunte à bord de sa voiture jusqu’à la nature environnante à partir d’un bateau-camion. Elle ne se confronte pas directement au réel mais l’appréhende de manière détournée, afin d’en révéler ce qui n’est pas visible par la simple expérience directe. Les données du réel ne sont pas enregistrées telles quelles, elles sont altérées par le dispositif filmique mis en place par l’artiste. Le réel devient une matière lumineuse que l’artiste manie à son gré et maîtrise en variant le diamètre du trou permettant le passage de la lumière du sténopé. L’image apparaît inversée, mais l’artiste n’opère pas de rotation pour la rétablir de manière mimétique. Mer et ciel se fondent en masses informes, les éléments naturels perdent leur fonction de référents identifiables pour se muer en motifs abstraits. Cette latence est de nouveau à l’œuvre quand l’artiste, réitérant l’expérience de la durée, photographie des visages qu’elle fait surgir de l’obscurité, dans une esthétique de l’émergence. La frontalité des sujets photographiés, par exemple dans la série Les Eblouis, contraste avec la disparition du modèle qui se fond dans l’arrière- plan noir. Travaillant à la chambre, l’artiste choisit de renouer avec les contraintes des débuts de la photographie, à savoir des temps de pose longs, témoignant de son désir de capturer, davantage qu’un instant, une durée. L’attention si particulière accordée au dispositif révèle une volonté de la part de l’artiste de définir sa relation au réel. Les différentes étapes nécessaires à l’élaboration d’une photographie sont autant d’entraves entre elle et le monde : le grain accentué et les couleurs altérées, l’image s’achemine vers son état final. Les dispositifs engendrent une durée de par leur nature même ou par le processus qu’ils supposent et éclairent le spectateur quant au rôle que l’artiste assigne à la photographie.