Texts

MONOLITHES / Jean Marie Baldner .

Expérience des dimensions et de la perception de l’inconnu, le voyage commence dans l’antre de la terre, la géode de Pulpí, une cavité oubliée d’une ancienne mine de plomb et fer de la Sierra del Aguilón (province d’Almeria). Là, les cristaux transparents de sélénite, une variété de gypse, s’irisent de la lumière interne de la terre. (…)

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MONOLITHES / Léa Bismuth .

Pour sa première exposition en galerie, Juliette Agnel nous convie à une exploration de fabuleux espaces ouverts sur l’inconnu. L’aventure photographique y est existentielle, à l’affût de paysages extrêmes, qui sont pour elle l’outil d’un « déchiffrement primitif » . Il s’agit par là de capturer des forces telluriques ou primaires — celles de la nature en mouvement — afin de se dessaisir de ce qui rassure, au plus près d’un bouleversement des sens. Cette considération intensive du paysage la mène toujours plus loin : du pays Dogon à la Corée ou à l’Islande ; et plus récemment en Andalousie, au Soudan, au Groenland, et au Maroc. (…)

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LES NUITS / Léa Bismuth .

Intitulé « Les Nuits », l’accrochage convie à une exploration de fabuleux espaces ouverts sur l’inconnu. Car, au-delà d’une présentation chronologique, il s’agit plutôt d’une plongée sensible dans l’obscurité, et d’un voyage vers l’intériorité du visible. Les étoiles, la voie lactée, l’ouverture immense du ciel nocturne nous accueillent pour mieux pénétrer dans les profondeurs émotionnelles du paysage ; avant que des présences et des silhouettes ne fassent leur apparition, conférant à la démarche une forte dimension humaine. (…)

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LES PORTES DE LA GLACE / J.-C. F.

Durant plusieurs années, Juliette Agnel a parcouru les routes du monde, appareil photo en main, poussée par son gout pour les voyages et son désir de documenter ses découvertes. Et puis les paysages qu’elle photographiait se sont trouvés de plus en plus habités par ses rêves, jusqu’à acquérir une dimension cosmique, une existence incertaine entre réalité et fiction. Juliette Agnel travaille dans et avec la durée. Par une lente maturation, qui lui permet de prendre ses distances avec le réel, elle fait émerger les images qu’elle porte en elle. (…)

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GRAFFITIS COSMIQUES SUR LE MUR DE PLANQUE / FRÉDÉRIC NEYRAT

Mur de Planck. – De l’ère de Planck – ainsi que les physiciens la nomment – on ne sait rien. On sait seulement qu’à partir de 10-43 seconde, l’univers entre en période de croissance, la gravitation prend son indépendance par rapport aux trois autres forces fondamentales (force électromagnétique, force nucléaire faible et force nucléaire forte) et préside à la formation de la matière qui s’extirpe alors de la seule fluctuation quantique ; mais avant cette infime durée, la physique défaille : impossible de prendre le temps à rebours et de remonter de 10-43 seconde jusqu’au supposé temps 0 du Big Bang, car alors « l’espace-temps se brise en mille morceaux » (Michel Cassé). C’est qu’il n’y a peut-être pas de temps 0, de température infinie ou de singularité, cette masse infinie contenue dans un volume nul. Le non-savoir règne derrière le mur de Planck, sur lequel nous inscrivons, à la manière de l’art pariétal le plus ancien, nos graffitis. Ainsi rendons- nous visible la porte de l’invisible. (…)

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SOUDAN, EXTÉRIEUR NUIT / Olivier Rolin

Dépaysement serait un terme trop faible. C’est une stupeur égarée qui saisit d’abord à la vue des photographies de Juliette Agnel. Quel est ce monde qu’elles nous donnent à entrapercevoir? Est-on au fond de la mer, et alors ces ruines noyées de nuit, ces colonnes, ces pyramides émergeant des douces courbes du sable, seraient les vestiges de l’Atlantide? Est-on sur une planète lointaine dévas- tée par quelque guerre des mondes, et parmi les astres qui brillent dans le ciel noir il y aurait notre Terre? Est-on à bord du Nautilus, d’un vaisseau spatial? Anywhere out of the world, là où l’on peut, selon Baudelaire, «prendre de longs bains de ténèbres»? Mais non, ce monde entrevu comme dans les images d’un somptueux cauchemar, c’est le pays qui se dit en arabe bilad as-Soudan, le pays des Noirs, et que voici devenu, sur ces photographies énigmatiques, le pays du noir. On reconnaît les pyramides de Méroé, d’autres sites archéologiques dont je ne suis pas sûr, Djebel Barkal, Musawwar- at, Old Dongola peut-être? Posées sur le sol comme l’obus géant de De la Terre à la Lune, des qubbas, cloches de terre qui sont des tombes. (…)

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L'invisible de Juliette Agnel / Pascal Therme / 10 septembre 2020

Juliette Agnel était en résidence au cours de l’été 2019 à l’ancienne poste de Plounéour-Ménez, invitée par l’association Poésie et pas de côté. Il en résulte un bien beau livre fait de photographies en noir et blanc et de citations issues des échanges avec le géobiologue Yann Gilbert, dans une mise en page sobre, discrète assez « pure » pour donner à ce dialogue entre la photographie et le texte, l’évidence d’un territoire habité et parcouru de forces telluriques, lieux de culte aux pierres levées, dolmens, esprits qui semblent encore veiller, et qui, dans une sorte d’égrégor, en font un lieu particulier, hors de l’époque et du temps présent, havre de paix.
Juliette a parcouru ces monts d’Arrée en ethnologue, en photographe inspirée, cherchant à photographier l’invisible, d’où le nom de l’ouvrage où est adjoint encore le mot diskuzh plus sonore, en breton, incantatoire, sorte de formule magique ouvrant le regard, présidant à l’éveil d’un monde derrière un monde, d’une réalité invisible issue d’une réalité visible, portrait méta-psychologique d’un enchantement, d’une surr-éalité aussi.

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Feuilleton : tentative d'approche de l'être-femme-artiste (avec Réjhane Lhote et Juliette Agnel) / Léon Mychkine / 17 mars 2020

Une autre chose qui m’interpelle, dans la parole des artistes, c’est la description de leur corps dans l’espace de création, comment ils/elles se le représentent, et, là encore, nous avons un indice avec Lhote, lorsque je lui demande quelle est, pour elle, la différence entre peinture et dessin, et qu’elle m’apprend ceci :
« L: Je réponds que, déjà je ne comprends pas trop le débat dessin/peinture, et pourquoi la peinture serait plus privilégiée. Moi, je pense que ce que j’aime dans le dessin, c’est l’extension de la main ; c’est très spontané, très direct, et on ne peut pas mentir.
M: Et la peinture, ce n’est pas l’extension de la main ?
L: Dans la peinture, on pose une idée, on l’articule. Je trouve que la spontanéité du dessin est vraiment, pour moi, très importante, et j’aime le geste qui reste. Ce geste premier — que je trouve dans le dessin —, fait que c’est ma pratique privilégiée.»
Dans son Histoire des Animaux, l’admirable Aristote écrit que « la main est l’outil de tous les outils. Car elle est pour ainsi dire un outil qui tient lieu des autres. C’est donc à l’être capable d’acquérir le plus grand nombre de techniques que la nature a donné de loin l’outil le plus utile, la main.» Certes. Et puis, il y a ces pages admirables dans lesquelles Leroi-Gourhan (Le Geste et la Parole) exprime l’extraordinaire et véridique idée d’après laquelle l’outil est une sécrétion : «…nous sommes parvenus à cette notion de l’outil comme une véritable sécrétion du corps et du cerveau des Anthropiens. Il est logique, en ce cas, d’appliquer à un tel organe artificiel les normes des organes naturels ». Ce qui est intéressant, dans le dire lhotien c’est le fait qu’elle en oublie quasiment l’outil, mais, si nous suivons à l’instant ce que vient de nous rappeler, ou de nous apprendre, Leroi-Gourhan, la parole lhotienne est logique. En, effet sa réponse confirme la pensée du grand archéologue : entre sa main et le support, pour ainsi dire, il n’y a rien, rien d’autre qu’un outil (son corps), traçant.

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Réflexions sur le dire de Juliette Agnel / Léon Mychkine / 7 janvier 2020

Il est des artistes qui savent bien dire ce qu’ils cherchent, même si, bien sûr, il reste toujours un espace pour l’interprétation. C’est le philosophe Alain Badiou qui écrit que le vide est la condition de l’intelligence, de ce qui respire, et du politique. Quand on entend boucher tous les vides, on court à la catastrophe. C’est une pensée très belle de Badiou (dont par ailleurs je ne goûte pas le Platonisme, étant plutôt aristotélicien). Mais il est vrai que parfois, un ou une artiste, en parlant de sa pratique, va aller quasiment dans le creux de ce vide, comme on va, descendant dans un volcan, très près de la caldera. Ainsi, ce que dit Agnel dans l’entretien résonne dans ma chambre d’écho personnelle. Plusieurs notes s’y font entendre. La première, c’est bien sûr la note iconique. Voir, c’est aussi entendre quelque chose. Voir des photos d’Agnel, c’est entendre une certaine musique mystérieuse, fantomale. Pour preuve, elle nous dit que le « réel tout court » ne lui plaît pas. Il faut entendre ce non-plaire comme l’indice chez Agnel qu’une imagerie, une prise de vue frontale, ne l’intéresse pas. On pourrait presque dire que beaucoup de photographies sont tautologiques ; elles montrent ce que tout le monde peut voir. À l’inverse, il est des photographes qui ne se satisfont pas de ce rapport “direct” avec le couple réel/réalité (qui peut avoir ses maîtres, bien entendu, et par exemple Lartigue). Et c’est donc pourquoi très nombreux sont les photographes qui auront eu recours à ce que j’appelle un pas de côté ; cette envie, ou décision, ou obligation, de prendre appui depuis une tangente. Prenez Charles Nègre, par exemple, un des pionniers de l’image, et qui expose à un moment des photographies négatives. D’où lui vient cette idée, cette volonté, de montrer un négatif ? Que cherche-t-il ? Parfois, il montre côte à côte négatif et positif. Mais il arrive, comme sur la reproduction ci-dessous, qu’il ne montre qu’un négatif.

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Entretien avec Juliette Agnel / Léon Mychkine / 5 janvier 2020

Léon Mychkine : Bonjour Juliette Agnel. Je voulais commencer par vous dire qu’à Chaumont, j’ai été très impressionné par vos photographies, spécialement celles qui sont faites nuit/jour, c’est-à-dire que vous superposez deux photos en fait, une de jour, et une de nuit ?
Juliette Agnel : Oui. En fait c’est la poursuite d’une série, qui s’appelle “Les Nocturnes”, que j’ai entamée en 2017, dans les Pyrénées et en Espagne, et en fait je ne savais pas du tout que j’allais faire des montages, parce que le montage, en soi, ne m’intéressait pas du tout, mais c’est la contrainte qui m’a obligée à ça, parce que je suis tombée dans un endroit où je me suis dit que ce devait être là, absolument. Et à cet endroit là il n’était pas possible de rester la nuit.
LM : Et pourquoi n’était-ce pas possible ? C’était dangereux ?
JA : Parce qu’il y avait un camp militaire au centre, et c’était zone interdite. Donc j’ai fait les photos quand même, en me disant que j’allais les transformer plus tard. Du coup, j’ai pris en photo le ciel étoilé au dessus de ma tête, et je l’ai basculé à la verticale, comme du sol au plafond, pour ainsi dire. Et cette pratique là m’a permis de faire exactement ce que je voulais faire, et qui était de donner un paysage assez étrange, et plutôt proche de ma quête, ou alors de la gravure. J’ai pas mal pensé aux gravures que l’on trouve dans les livres de Jules Verne, entre autres, qui m’intéressaient, que je cherchais, sans savoir comment y arriver. Et cette contrainte, qui m’a surprise, m’a finalement permis de faire ce que j’avais en tête. Du coup, je réitère, je répète quelque chose que je connais, de l’ordre de l’assemblage de deux images, entre jour et nuit. J’ai une banque d’images d’étoiles, que je fabrique tout le long du voyage pendant les nuits, et à un moment, je cherche quelles étoiles fonctionnent bien avec tel paysage.

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La photographe Juliette Agnel au Château de Chaumont-sur-Loire / Léon Mychkine / 5 janvier 2020

Mme Colleu-Dumond, Directrice du Domaine de Chaumont-sur-Loire, eu la lumineuse idée d’envoyer Juliette Agnel en mission photographique au Soudan, jadis Nubie, ancien royaume de Koush, et plus particulièrement dans une région reculée, la cité antique de Méroé, située en aval de la sixième cataracte du Nil. Le site a tout du mythique et de la carte postale à la fois. En effet, c’est ici que seraient visibles les traces du premier royaume d’Afrique. Et c’est depuis la Nubie, du royaume de Napata, que les fameux “pharaons noirs” ont régné sur l’Égypte durant la XXVe dynastie. L’un des plus illustres représentants de cette “dynastie éthiopienne” fut le pharaon koushite Taharqa. Rien qu’en relatant tout cela, j’ai l’impression d’être Pierre Loti, ou Pierre Benoit… Mais, à ce mystère qui nous entoure déjà comme une brume épicée, il faut ajouter que l‘écriture de cette civilisation — excepté quelques indices sur des monuments funéraires —, est indéchiffrable. Pas de “pierre de Rosette” bis disponible. Ce qui est assez stupéfiant, c’est que les spécialistes sont capables de la lire, mais ils n’y comprennent rien… Ça y est. Nous sommes entrés dans la carte postale. En effet : qui y a-t-il de plus photogénique que les ruines ? Le lecteur aura pu activer l’hyperlien dans le terme Méroé, “arrivant” sur des photos hébergées par l’UNESCO. Ce sont toutes des cartes postales. Mais on se doute bien qu’Agnel n’a pas été envoyée sur l’île de Méroé pour en produire. Bien au contraire. Il y a une touche Agnel, c’est indéniable. Dès ces premières photos que nous pouvons voir sur son site et qui datent de 2005, quelque chose prend. Ce quelque chose, c’est la patte, la touche, l’œil, c’est la photographie. Aussi, Agnel nous rapporte-t-elle de Méroé des photographies fabuleuses ; tout simplement. Spécialement les photographies couleurs. Elles sont extraordinaires. Et je pèse mes mots. Quand on se trouve face à elles, nous sommes pris par des sentiments, des impressions qui ont à voir avec ce que j’appellerais des parages : parages du merveilleux, parages de l’étrange, parages du différent, parages du mystère, de ce qui est autre. On trouve des pyramides à Méroé, appelées pyramides nubiennes, et dont l’angle est beaucoup plus aigu que les pyramides égyptiennes. Mais Agnel nous montre aussi des monuments funéraires différents, en forme de “meules” de Monet, des constructions qu’on a rarement vues. Ces monuments sont tout à fait étonnants. J’ai beau chercher depuis des heures sur l’Internet, je ne trouve pas le nom de ces constructions. (Entre temps, interrogeant Juliette Agnel, j’apprends donc qu’il s’agit de “Kubas”, des tombes de cheikhs relativement récentes.)

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Une 3ème édition réussie pour Chaumont-Photo-sur-Loire 1/3 - Bae Bien-U et Juliette Agnel / Pascal Therme / 26 novembre 2019

La commissaire de Chaumont-Photo-sur-Loire, Chantal Colleu-Dumond, réunit pour cette troisième édition six photographes répartis en deux catégories : ceux qui prennent la Loire comme source d’inspiration majeure dans trois types de voyages, immobile et cinématographique avec l’artiste américain Jeffrey Blondes, photographique, plastique et formel avec Manolo Chrétien, photographique et animiste avec Henry Roy. Et ceux qui s’ouvrent sur d’autres voyages plus lointains, mais est-ce si sur, tant la permanence de leur écriture propre procède de la même énonciation curieuse et envoutante, là où se découvrent les pans du réel et s’approche la création. Ces Voyages en Corée, au Soudan, au Mexique, ne sont ils pas aussi un flux d’espace-temps dans un écoulement maitrisé du monde comme une pénétration de l’oeil ouvert sur cette photographie qui rend compte et qui énonce. Un même esprit s’empare du monde et fait voyage, c’est à dire raconte…c’est à dire discerne, s’éprend, met en images.

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Chaumont-Photo-sur-Loire / Pascal Therme / 22 novembre 2019

Chantal Colleu-Dumond  écrit : ”Toutes ces images sont inédites ou jamais vues en France. Trois artistes expriment, de manière très originale et très différente leur relation particulière à la Loire. C’est le cas de l’Américain Jeffrey Blondes, dont l’objectif est de nous faire saisir, à l’issue d’un travail d’une année entière, l’essence du temps et des infinie Chantal s variations de lumière et de couleur de paysages intemporels, Manolo Chrétien nous plongeant, quant à lui, dans les remous insaisissables et envoûtants du fleuve. Henri Roy, également fasciné par la Loire, a fait, dans le cadre d’une résidence, le portrait photographique du Domaine et restitué son immersion dans le site par le texte, autant que par l’image. Le grand photographe coréen Bar Bien-U nous entraîne, quant à lui, dans la contemplation des Orums, d’hypnotisantes collines volcaniques de l’île de Jeju, aux formes abstraites et picturales, tandis que Juliette Agnel a rapporté d’un voyage au Soudan du Nord des images d’une intensité et d’une intemporalité exceptionnelles. Le photographe mexicain Juan San Juan Rebollar nous fait, enfin, partager sa passion pour la poésie graphique des végétaux.” Chantal Colleu-Dumond a réuni pour cette troisième édition deux types de travaux, ceux qui prennent la Loire comme source d’inspiration majeure dans trois types de voyages, immobile et cinématographique avec l’artiste américain Jeffrey Blondes, photographique, plastique et formel avec Manolo Chrétien, (écouter les itv) photographique et animiste avec Henry Roy.

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Les vertiges ascensionnels de Georges Bataille / Guillaume Lasserre / 15 septembre 2018

« Les portes de glace », suite de six très grands clichés réalisés au moyen format au Groenland donne à voir un monde réel se muant dans l’étrangeté de l’imaginaire lorsque l’on tente de deviner l’au-delà de ces portes infranchissables. On se projette de l’autre côté du miroir de glace, derrière ces gigantesques monolithes qui se font cavernes, grottes ou falaises d’eau gelée, majestueuses entrées d’un autre monde qui reste interdit. Au départ, Juliette Agnel fait le voyage dans le Grand Nord dans l’idée de donner une suite à ses « Nocturne » présentés lors de l’édition 2017 des Rencontres internationales de la Photographie d’Arles où elle était nommée au Prix Découverte. Très vite, deux images vont s’imposer : un nocturne alternant avec un négatif donnent son rythme à la série. La monumentalité des tirages rend compte de l’inquiétante beauté de ces fragiles passages de liquides pétrifiés par un froid qui parait infini. L’impossible franchissement de ces portes sépulcrales autorise l’illusion d’un au-delà spirituel, utopie d’un Eden fantasmé ou effroi de l’Erèbe des Enfers grecs. Le rapport mystique est ici le même que celui à l’œuvre dans « l’expérience intérieure » de Georges Bataille.

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Art Press 2 / Marie Chesnel / Septembre 2018

Le voyage fait partie de la vie de Juliette Agnel, il est une part constitutive de son travail d’artiste. En ce mois de février 2018, celui qu’elle entreprend en terres polaires renoue de manière inattendue avec sa recherche au long cours sur les grottes; une recherche dont les ramifications la conduisent du pays Dogon à un projet pour l’heure en gestation sur la grotte Chauvet. Décidé en prévision de sa participation à l’exposition Vertiges, le séjour au Groenland doit initialement permettre à Juliette Agnel de donner suite à sa dernière série d’œuvres en date, les Nocturnes. Après avoir photographié l’immensité étoilée recouvrant des paysages «presque irrationnels» dans le désert espagnol et sur les routes des Pyrénées, elle a en effet ressenti «le besoin d’un paysage de l’extrême». En exprimant ainsi le désir de se confronter à l’impraticable, elle rappelle très concrètement ce à quoi enjoint Bataille dans l’Expérience intérieure : ne s’agit-il pas, après lui, de se rendre à «l’extrême du possible […] si loin qu’on ne puisse concevoir une possibilité d’aller plus loin»? De fait, l’aventure ne sera pas de tout repos : les menues déconvenues sont légion et les conditions climatiques font de chaque prise de vue une épreuve telle que les sorties de nuit se compteront finalement sur les doigts d’une main.Les Portes de glace, l’œuvre exposée à Labanque, est constituée de l’alignement de six grandes photographies d’icebergs prises au moyen format numérique, depuis un bateau. Chaque image – dont l’une au centre, est redoublée – a été retouchée, et ce travail de reprise crée le mystère en même temps qu’il le signifie; il acte la transformation du paysage photographié, réel, en une vision métaphorique de l’inconnu. Le passage au négatif de trois d’entre elles, souvenir artificiel de l’argentique en milieu numérique, agit comme une révélation: les rochers de glace dévoilent de précieuses facettes; une force intérieure, vivante, semble pulser. Les trois autres images, restées en positif, sont plongées dans une pénombre crépusculaire. L’effet accentue la sensation de se situer à un croisement, où ce qu’il y a derrière l’image rencontrerait ce à quoi semble ouvrir le paysage. Telle l’apparition inaugurale du monolithe dans 2001, l’Odyssée de l’espace (Stanley Kubrick, 1968), film dont Juliette Agnel souligne qu’il est une référence essentielle à la genèse de cette œuvre, ses Portes donnent sur un vertige, sur une béance métaphysique, sur le dévoilement d’un absolu qu’elle nous invite à contempler. Dans un article intitulé l’Art, exercice de cruauté, Bataille écrivait que seuls quelques-uns d’entre nous ont gardé le regard de l’enfance: «Ceux-là veulent déchiffrer le ciel ou les tableaux, passer derrière ces fonds d’étoiles et ces toiles peintes, et comme des mioches cherchant les fentes d’une palissade, tâchent de regarder par les failles de ce monde.» Juliette Agnel est sans aucun doute des leurs.

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L'épaisseur du temps / Jean-Marie Baldner / 25 juin 2018

En quelques mots, le titre et l’accroche de l’exposition emportent le visiteur vers les mondes de Juliette Agnel, habités de rencontres et de poésie, de contemplation et de recherches sur le statut de l’image apparaissante, entre fixité et mouvement, d’exploration des temporalités du réel et de l’intime.
L’exposition est un jeu de correspondances. L’accrochage est organisé autour de la mise en écho de deux laps de temps (Time Lapses) projetés sur deux tirages papier mat à dos bleu :
– Focalisé par le vignettage de l’image, un nuage, blanc dense, occupe le ciel bleu. En suspens d’immobilité, il vibre sur la lande ; il palpite doucement, s’ouvre et se referme au rythme transitoire de la lumière du jour.
– A quelques pas, le ciel au dessus de la montagne, en fusion de jour et de nuit, explose d’étoiles. Quelques nuages translucides troublent insensiblement la voie lactée ; les étoiles filantes se fichent dans la minéralité d’un « paysage extrême ».
Les deux projections animent l’arrêt sur image. Elles induisent la respiration des séries adjacentes, leur poétique du mouvement dans l’immobilité ; elles allèguent la quête de fictions pour représenter le réel.
Côte d’Ivoire, Guinée, Niger, les routes ont la couleur des régions et des pays traversés, la couleur d’un temps du voyage (Laps 2003-2005). Derrière les vitres du bus, Juliette Agnel a suivi le défilé des paysages. Elle a observé les routes dans le temps, toujours différentes et toujours semblables. Au tempo de la pensée qui dérive, elle les a imaginées être et s’effacer, entre regard et rêve. Elle les as filmées.
Après coup, photographiées sur l’écran de visionnage d’une monteuse Super-8, les images montent en grain, acquièrent une facture chromatique spécifique, rehaussée par le vignettage. Six tirages de moyen format, présentés dans un cadre de bois noir, rendent au visiteur cet état particulier d’attention composite et fusionnelle, la sensation d’une durée distendue entre le présent et la mémoire. La couleur est à la fois couleur du temps d’engendrement de l’image et couleur de la condensation des temps, le temps des paysages traversés et le temps du cheminement intérieur. Entre réalité et fiction, l’image se nourrit d’histoires intimes à composer et de narrations à imaginer.
En 2011, lors d’une résidence « Ecriture de lumière » Ile-de-France auprès de lycéens, Juliette Agnel imagine et conçoit un dispositif de vision destiné à appréhender, à la prise de vue, dans l’espace de la chambre noire, les temporalités de l’apparition et de la fabrication de l’image entre-deux du fixe et de l’animé, de la vidéo et de la pose. Oxymore technique, la camera obscura numérique est autant une appréhension du réel par sa mise en fiction qu’une pratique réfléchie de l’histoire du médium. Il ne s’agit pas pour Juliette Agnel de réactiver des pratiques anciennes, pictorialisme ou autochrome, mais, en prenant la pleine mesure de l’histoire et de la possibilité des techniques, d’expérimenter, dans la confrontation de la durée et de l’instant, la rencontre improbable et nécessaire d’une technicité poussée à ses limites et d’une sensibilité au doute et au flou entre maîtrise et lâcher prise, d’un intérêt pour la prise de vue unique, ouverte à l’aléatoire et à ce qui advient.
Stabilisée sur pied ou amarrée au toit d’une voiture, à distance variable de son référent, la camera obscura numérique de Juliette Agnel s’est posée sur les paysages iliens de Norvège, a parcouru l’Islande, a pris le temps de portraits au Mali, en Corée ou en France.
Dans le ciel bleuté des « paysage de l’extrême », dans celui des « étoiles pures », la nuit remue de sa forme primordiale, frémit du silence vibratile de milliers d’étoiles et de planètes. Aux tempi des Nocturnes ( 2017), les paysages s’ouvrent sur l’infini, le plein et la disparition, étranges et familiers à la fois dans l’entremêlement diurne et nocturne de temporalités. Juliette Agnel diversifie les supports et le dispositif d’exposition de cette cosmogonie, respiration du monde et respiration intérieure, où les forces telluriques s’affirment et s’échappent dans le même moment : tirage sur papier duratrans, sur papier mat dos bleu, tirage lambda…, grands formats épinglés, caissons lumineux rétro-éclairés par des leds, projection de laps de temps sur photographie, moyens formats posés à plat dans une vitrine. Là où tout se mêle, sur la surface photographique, à la frontière du regard et du rêve, elle invite le visiteur à s’immerger dans une paisible et dérangeante ambiguïté au mitan de l’extériorité et de l’intériorité, elle l’amène à douter du statut de l’image par l’irruption déstabilisante du mouvement dans l’immobilité.
Ø (île) (2013), réalisé lors d’une résidence photographique sur l’île d’Halsnoy en Norvège, est une invitation au voyage, réel et initiatique, à l’écoute de la respiration des temps lointains et présents. Le mouvement du nuage à la lenteur calculée d’un laps de temps instruit le regard vers ce que nous ne voyons pas dans l’immédiateté des images épinglées sur les murs blancs, vers la contemplation étonnée des confins entre durée et fugacité, entre l’être-là et l’absence. Le grain de la surface photographique, le vignettage donne aux images la dimension onirique d’une maturation intime des émotions. Les paysages et les intérieurs s’entrouvrent à la fois à la méditation et à de multiples récits qui font s’effleurer et se frotter les mémoires passées et les mémoires présentes, se fréquenter les habitants des temps anciens et récents.
Coréennes (2009), deux grands portraits, cadrés serrés en frontal, est l’histoire d’une rencontre. Le léger flou comme une respiration, la couleur, la texture et le grain spécifiques du Polaroid, la matérialité et l’unicité d’une image dévoilée en lenteur, traduisent à la fois la liberté du modèle de bouger dans le cadre, le temps de la pose, et le dialogue des intimités dans un moment de partage non figé. Juliette Agnel convie le visiteur à s’arrêter, à faire silence et à se mettre à l’écoute des témoignages de Bokyeul et Jiyoung, des histoires de femmes au quotidien, livrées à leur fils et frère, sur leur existence et leur place dans une société qui subit les écarts et les tensions entre modernité et traditions. Elle l’appelle, étranger ou proche, à la disponibilité à ce que l’autre lui dit, les modèles comme la photographe, de leur cheminement intérieur. Dans le même temps, le choix du dispositif, un dos Polaroid sur une chambre 4 x 5 inches, la qualité du cadrage et du rendu l’emmènent vers un questionnement approfondi sur l’objet photographique, le statut et l’esthétique de l’image, sur son silence et sa voix à inventer.
Une rue de Bamako, Mali. Juliette Agnel installe sa camera obscura numérique, en sensibilité à l’histoire et à l’esthétique revisitées des studios photographiques (Les Enfants de Bamako 2011). Le moment, étiré, est onirique. Il se nourrit de la complicité de la photographe et de ses modèles, un jeu de proximité et d’altérité. Entre pause et pose, les trente tirages argentiques réalisés d’après les fichiers numériques, accrochés sans cadre, affichent la fragilité visuelle d’un temps dilaté. Le buste, pris dans un flou de soi qui dévoile les jeux de proximité et d’altérité avec la photographe, se détache en halo sur un fond noir. Regards partagés, le léger bougé sollicite l’exploration des temporalités de l’image, la texture, la lumière, les couleurs celle de son statut.
La route est un sujet récurrent chez Juliette Agnel, d’Afrique ou de Scandinavie. Sur la route islandaise numéro 1 (Islande # 2), la camera obscura numérique a remplacé le film Super-8 et sa postproduction. Fixée sur le toit d’une voiture, la machine de vision enregistre le parcours sur la route circulaire. L’intimité au paysage, le regard libre à la rencontre et à ce qui advient, la pensée vagabonde s’ouvrent à la narration et aux temps du rêve d’un nouveau « road movie ».
Qu’elle entre dans l’infiniment grand avec les « paysages extrêmes » ou dans les temps du mouvement intérieur, le travail de Juliette Agnel s’affirme à la fois comme une anthropologie visuelle et comme une poésie du monde. La camera obscura numérique, par la lecture de la réalité en fiction et en mystère dès la prise du vue, en est l’instrument d’écriture, l’expérimentation d’une vue du temps à travers, dans l’entre-deux, offrant au visiteur la liberté d’inventer le réel.

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Le réel ne suffit pas / Fabien Ribery / 10 juin 2018

Il y a chez la photographe Juliette Agnel un émerveillement permanent, premier, face aux paysages extrêmes et à la stupeur qu’ils suscitent.
Comprenant l’esthétique comme l’un des domaines majeurs de l’anthropologie, l’artiste aime se confronter à l’inconnaissable, à l’incommensurable.
Voilà pourquoi le monde scientifique la passionne, pour ses découvertes, sa rigueur, ses folles ambitions.

Il ne s’agit pas pour elle et les chercheurs qui la fascinent de cartographier simplement les objets de la réalité, mais de plonger véritablement dans une dimension où l’espace et le temps deviennent des mystères profonds.

Son travail relève ainsi de la notion de sublime, d’une disproportion ordonnée échappant au discours pour faire entendre la tonalité d’une parole sans traduction possible, qui est au sens fort un ravissement, un enlèvement, un rapt de tout l’être.

Comment entendez-vous la notion de paysage extrême ?
Le paysage de l’extrême, c’est un peu le bout du monde, là où la terre a encore le dessus sur l’homme, et où l’on sent bien que les forces telluriques sont présentes, visibles, palpables, voire même potentiellement dangereuses. Un peu comme quand on est près d’un volcan qui pourrait s’activer. C’est un paysage primitif, chaotique, là où tout nous échappe. Un endroit où tout se mêle, même à l’espace, où tout est bouleversé, renversé. Un déchirement primitif.

Je lis une chose sur Kant qui m’amène à copier cet extrait : « La première phase dans la cosmogonie de l’auteur de la « Théorie du ciel » est le chaos. C’est lui qui succède directement au néant. Il se caractérise par un état de la matière en décomposition et au repos. Deux mouvements doivent alors intervenir pour que l’univers se structure : un mouvement de condensation de la matière d’une part, et un mouvement de rotation d’autre part. »
C’est peut-être ça que je cherche dans le paysage « de l’extrême ».
La photographie telle que vous la concevez et l’aimez relève-t-elle de la stupeur et d’une indifférenciation entre les ordres de grandeur ?
Oui, on peut dire ça, elle relève d’une fascination de la vie, ou du mouvement de vie. Notre œil est façonné par nos connaissances et nos ignorances. Le monde est d’une variété infinie, et nous n’en voyons qu’une partie infime. Peut-être même que nous n’en voyons rien de ce qu’il est vraiment. Il faudrait pouvoir voir à travers. Et pour cela, oublier ce qu’on connaît déjà. Évidemment, dans l’observation profonde, de la nature par exemple, les échelles sont mélangées.
Scruter le développement du minuscule, entrer dans le temps et dans la décomposition du mouvement, est du même ordre que d’observer l’infiniment grand et le mouvement des étoiles. Je poursuis depuis plusieurs années un travail corporel sur le mouvement intérieur qui s’assimile de façon évidente au mouvement présent dans les plantes par exemple ou au mouvement des astres.

Que vous apporte l’utilisation de la camera obscura numérique, outil que vous avez conçu en 2011 à la Maison du geste et de l’image (Paris) ?
La camera obscura numérique m’a beaucoup apporté sur le rapport au réel. La transformation de l’image directement à la prise de vue est une poésie immédiatement appliquée sur le monde tel qu’il est, et la matière est le premier Geste de l’image. J’ai trouvé une appréhension du monde qui me convient, un travail pictural, au plus près de l’évocation. Elle m’a permis d’une certaine façon de regarder « à travers ». Dans les portraits (Les éblouis) notamment, j’évite ainsi les questions liées à la brutalité et à la crainte de l’image de soi puisque j’emmène les participants vers une dimension plus onirique et intérieure.
D’une façon générale, vous êtes très proche du monde scientifique, des anthropologues, des astrophysiciens, cherchez-vous à rapprocher et faire dialoguer esthétique et sciences ?

Je suis complètement fascinée par le monde scientifique, par les découvertes permettant d’élaborer des connaissances sur le monde, et par les modalités de travail des chercheurs. Je suis frappée que leurs discours et leurs travaux proviennent de l’émerveillement de la nature, du rêve, ou de la magie des formes…
Le monde scientifique est très proche, par son approche, du monde artistique. Ce sont des observateurs intenses et minutieux, des personnes que la nature surprend et enchante. Toutes leurs recherches débutent par l’observation précise, comme les guérisseurs qui puisent leurs connaissances dans l’observation de la nature.
Par contre, je dois dire que j’ai aussi été dérangée à une époque un peu lointaine maintenant, du refus profond pour certains anthropologues, d’inclure la dimension esthétique comme élément de fond. J’y ai été confrontée avec un petit film que j’avais réalisé en pays Dogon en 97 que j’ai refusé de traduire pour laisser le spectateur s’approprier les sons et la langue.

Quelle fut l’importance dans votre parcours intellectuel et artistique de la rencontre avec Jean Rouch ?
Jean Rouch était un homme qui pratiquait la liberté et le jeu dans son travail de cinéaste. Grâce à Flaherty et à son histoire personnelle, il a compris qu’il fallait manipuler la réalité pour la mieux voir.
Il faisait tout au présent. Le rêve était son outil, et ses techniques inventées avec les moyens du bord lui ont permis de nous révéler une partie du monde.
Découvrir les gestes d’une danse secrète des Dogons grâce à un ralenti subtil et inattendu, pouvoir observer frontalement l’état de transe, filmer la mise à mort sacrificielle d’un animal comme on filme un paysage, j’ai pu avoir accès à un monde grâce à lui plus qu’aucun autre cinéaste documentaire. Regarder ses films et l’écouter parler de son expérience est une leçon de vie.

Vous êtes représentée par la Galerie Françoise Paviot (Paris) dont on sait le rôle historique pour la reconnaissance des primitifs de la photographie. Vous concevez- vous ainsi comme une expérimentatrice des premiers temps de la photographie ?
Je me vois en effet comme une expérimentatrice ou exploratrice de la matière photographique, mais certainement pas des premiers temps de la photographie puisque les expérimentations n’ont jamais cessé. D’autre part, en ce qui concerne mes expériences, par exemple avec la camera obscura numérique, elles ne pourraient pas avoir eu lieu si le numérique n’existait pas. Je manipule la matière photographique grâce à tous les outils qui existent, peu importe à quelle histoire ils appartiennent, tant qu’ils m’aident à fouiller et transformer le réel. J’aime avoir la liberté et le choix.

Qu’appelez-vous ou appelle-t-on les étoiles pures ? Pourquoi un tel intérêt pour les astres ?
Les étoiles pures, ce sont les étoiles que j’ai photographiées sans contexte, lorsque je cherchais à produire une œuvre pour l’exposition L’Eternité par les Astres [commissariat Léa Bismuth].
Au départ, je les ai photographiées pour les associer avec un socle terrestre, puis j’ai eu envie de les voir seules, pures.
La nuit est la première épreuve de l’enfant. Et les paysages célestes sont un trait d’union entre l’espace et le temps. C’est un rappel des éléments qui forment le principe de la photographie.
Je repense à mes expériences au Pays Dogon lorsque sur le toit de ma maison, j’avais le ciel noir et étoilé à 365 degrés autour de moi. Et je me perdais dans l’échelle de l’espace et je ne savais plus si l’espace était proche ou lointain. Le ciel noir et profond m’entourait entièrement, et j’étais seule dans cet « univers-île » (encore une référence à Kant via Humboldt).

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Juliette Agnel – AIC / Sarah Ihler-Meyer / 2018

Au fil de ses déplacements à l’étranger, du Mali à la Corée, en passant par l’Islande et la Norvège, Juliette Agnel fait de sa caméra et de son appareil photo les réceptacles de diverses manières d’être-au-monde. Exploration des rapports entre l’Homme et la Nature sous différentes latitudes, son travail se situe entre documentaire et fiction, observation du réel et vision intérieure, déployant par la même occasion une iconographie du paysage où l’on retrouve souvent la mer, le ciel, le soleil ou encore le brouillard. De ses investigations de terrain, résultent des photos et des films mêlant esthétique dite « primitive » et technologie numérique, caractérisés par une lumière et une facture picturales. C’est le cas des Nocturnes (2017) et des Portes de Glace (2018), soit deux séries de photographies respectivement réalisées en Espagne et au Groenland, montrant des paysages à la temporalité indéterminée, comme suspendus entre le jour et la nuit, à la fois concrets et irréels, chargés d’un mysticisme cosmique. Si ces deux corpus d’images sont conçus comme autant de zones de passage et d’incertitude entre les mondes diurne et nocturne, le projet « Masques et tambours » s’attache quant à lui au trait d’union entre l’Homme et la Nature que constitue l’Uarjeeneq. Il s’agit là d’une danse rituelle pratiquée au Groenland, en dehors des villes, avec des costumes et des masques peints, dont les postures et les expressions figurent divers animaux faisant eux-mêmes référence à des forces naturelles et à des émotions humaines. En se concentrant sur les instruments de ce rite dansé et chanté, à savoir des masques et des tambours, le projet de Juliette Agnel a ainsi pour ambition de témoigner d’une spiritualité vivante, ouvrant de nouvelles perspectives quant à la redéfinition des rapports entre l’humain et le non- humain.

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Les Nocturnes / Léa Bismuth / 2017

Longtemps habitée par l’idée même de ciel étoilé, c’est lors de l’été 2016, dans le désert espagnol et dans les hauteurs des Pyrénées que Juliette Agnel a enfin trouvé les images qu’elle portait en elle. La série des « Nocturnes » est apparue, après une lente maturation de fabrication. Ce terme, d’origine musicale, convoque d’emblée les sensations. « Je regarde l’immensité elle-même dans son dénuement absolu. Des paysages presque irrationnels. Des lieux devenant non-lieux, à la fois chaos et cosmos, transcendant la réalité, chargés d’une symbolique cosmique et mystique », explique l’artiste pour caractériser ces territoires apocalyptiques, point de bascule entre réalité et fiction. La découpe des montagnes dans le ciel bleuté, la rugosité des sols, l’absence d’humanité, les rares lunes nues et les étoiles par milliers, concourent à créer une inquiétante étrangeté. Nous sommes presque face à des méta-paysages d’une nature artificielle, où la matière de l’image est toujours à questionner et son caractère scientifique à interpréter. Cela est renforcé par la présentation, dans des caissons lumineux, de ces lucioles brillants dans la nuit. L’incertitude règne également sur leur statut d’image fixe : à tout moment, comme dans les images en mouvement présentées selon un dispositif sophistiqué évoquant autant la chambre noire, la cabine de projection que le diorama, les comètes et les étoiles filantes pourraient s’accélérer ou se figer. Il ne s’agit pas ici de simples paysages, mais de la création d’une immersion pour le visiteur qui est contraint de se positionner entre un infiniment grand et un infiniment petit, en une réflexion sur son devenir. L’ambiguïté reste de mise. Face à ces territoires perdus, nous sommes en proie à nous demander si l’humanité entière n’aurait pas déjà disparu

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Juliette Agnel / Léa Bismuth / 2016

Pendant près de 10 ans, Juliette Agnel a été en route. Elle a traversé des territoires, voyagé au Mali où les routes sont rouges, en Côte d’Ivoire où elles apparaissent vertes ou bien encore au Niger où on les découvre jaunes. De l’Afrique, jusqu’à la Corée, de l’Islande à la Norvège, son appareil photo et sa caméra se sont fait le réceptacle de contrées à explorer, de rencontres à faire. « J’ai cru pendant longtemps que j’allais faire du documentaire », explique-t-elle. C’est de cette première ambition, grâce à laquelle elle a travaillé avec les équipes de Jean Rouch et s’est confrontée à l’ethnographie, que lui est resté le goût pour les voyages et la découverte. Mais, dit-elle encore : « les paysages étaient toujours pour moi à la fois traversés et imaginés, des supports de fiction ». C’est dans ce sens qu’il faudra comprendre sa série Laps, réalisée entre 2003 et 2005 au Niger, en Côte d’Ivoire et en Guinée, série éminemment subjective dans laquelle elle filme des routes en Super 8, ces routes qui sont aussi celles de ses racines puisque c’est là, sur ces terres lointaines, que sa grand-mère est née. Les images, fruit d’un flux arrêté, sont pleines de grain, mais la lumière de l’Afrique semble avoir laissé sa marque sur ces routes à n’en plus finir. C’est avec la série Coréenne, puis celle des Éblouis que pour la première fois des visages émergent de l’obscurité. Chargés d’une intense picturalité, ces portraits sont réalisés grâce à un dispositif de camera obscura numérique. Une chambre noire nous ramène aux origines de la photographie et permet la création d’une image originelle. Témoignant du monde, apparition, ou disparition, les images obtenues, conservent ce halo dans lequel se forme une zone d’incertitude visuelle où le temps se dilate.

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Ø (île) / Maria-Laura Cavaliere / 2013

Dans l’exposition Ø (île), Juliette Agnel présente pour la première fois une série de photographies et de vidéos réalisées lors d’une résidence sur la petite île d’Halsnoy en Norvège. L’iconographie du voyage et des lieux s’impose dans la plupart de la production de l’artiste, métaphore d’un cheminement intérieur, d’un voyage initiatique. L’artiste, mêlant lyrisme et intériorité, nous dévoile un paysage qui rappelle l’atmosphère d’un poème d’Ossian ou l’esthétisme de la peinture de Caspar D. Friedrich – qui avait célébré la nature comme cadre rêvé et tragique et célébré dans ses tableaux une île, celle de Rügen dans la mer Baltique. Juliette Agnel a fabriqué en 2011 une camera obscura numérique, outil d’expériences mêlant l’esthétique “primitive” de la photographie pauvre et celle, contemporaine et novatrice, du numérique. Le temps de pose est long, une durée nécessaire à l’artiste pour entrer dans la matière et pour que vive cette maturation intérieure des émotions. La facture chromatique, le grain et la lumière de ses photographies, à la limite de la pratique pictorialiste, est obtenue grâce à ce travail complexe et sophistiqué sur la matière et sur la durée d’une image. Ainsi le medium photographique dilate le temps, fait passer du cinéma à la peinture et permet au spectateur d’être transporté dans une dimension onirique. L’artiste, face à l’immensité de la nature, dans la solitude et la grandeur de l’environnement, interroge ses émotions, médite sa pensée, ses fantômes, réfléchit au sens de la vie et de la mort. L’ensemble des images et du travail s’appuie sur des éléments du décor naturel : la mer, le ciel, le soleil, le brouillard, l’île, aussi bien que sur l’intérieur de la maison où l’artiste a séjourné, située sur les ruines d’un ancien monastère et entourée d’anciennes tombes de viking. Grace à la plasticité de l’enregistrement et à l’attention vers une esthétique primitive et picturale, les photographies de la série Ø (île) nous transportent dans un roman de Goethe et nous pouvons entendre le jeune Werther af rmant qu’il découvre avec délices « …les promenades sur la lande balayée par le vent de tempête qui conduit dans les brumes les esprits des ancêtres… ».

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Les Éblouis / Michel Poivert / 2012

Entamés en 2010, ces portraits individuels ou de groupe s’inscrivent dans le parcours déjà riche de cette artiste, un parcours photographique qui a d’emblée fait une place à l’expérimentation de dispositifs hybrides. Dans ses premières séries, Juliette Agnel ne se contentait pas de prises de vue et d’un travail de tirage classique, mais d’un traitement a postériori de vues réalisées notamment lors de ses voyages en Afrique. Il s’agissait de photographier des images réalisées par elle-même sur une table de montage et de produire ainsi un engendrement de l’image par l’image. La matière et le dispositif ont toujours été centraux dans son approche de l’image, Juliette Agnel nourrit ainsi un processus de révélation de la matière (grains de l’image, aberrations optiques) qu’elle va systématiser ensuite par le recours au sténopé. Ce moyen élémentaire de création (chambre sans optique) introduit un dialogue entre la vision de l’artiste et la technique très particulière qui l’incitera au fur et à mesure de ses travaux à « réinventer » la pratique de l’image en partant, d’une certaine manière, de ses origines. Néanmoins, la complexité du travail ira croissant, puisque Juliette AGNEL a mis au point une sorte de montage technique audacieux : associer à la camera obscura la technologie numérique. Cette expérience répond au désir presque fantasmatique de voir à l’intérieur de la chambre noire, de percevoir l’image à l’état natif. Cette « greffe » des deux états historiques de la technique (ses origines et son actualité) est mise au service d’enregistrement filmique (relié à l’ordinateur) et photographique (arrêt sur image). La représentation ainsi produite contient l’esthétique « primitiviste » d’une absence d’optique et celle, novatrice, d’une restitution par les capteurs numériques. Les Éblouis sont autant de corps et de visages qui se donnent sur un fond noir, comme surgissant de la nuit des temps pour nous rejoindre. L’ouvre forme ainsi une formidable parabole de notre mémoire photographique et de notre relation au présent. L’œuvre de Juliette Agnel est en plein développement, sur une ligne exigeante et expérimentale.

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Juliette Agnel / Claire Saillard / 2012


Partie avec ses pinceaux arpenter différents pays d’Afrique, Juliette Agnel revient en France munie de photographies riches de ses rencontres, de son expérience. La série Laps témoigne du passage d’un médium à un autre, à savoir de la peinture à la photographie, sans toutefois abandonner complètement le premier. La facture lumineuse, chromatique, granuleuse des photographies de Juliette Agnel sont autant de rémanences du médium pictural adopté par l’artiste pendant de nombreuses années. Si l’approche photographique suppose une immédiateté, l’artiste déjoue les codes de ce médium pour travailler dans la durée. L’expérience photographique de Juliette Agnel est celle du temps, de la distance nécessaire pour appréhender le réel. C’est en photographiant à l’aide d’une pellicule argentique des images déjà enregistrées sur la pellicule du film en Super 8 que l’artiste aboutit aux photographies de la série Laps. Ces images témoignent d’un phénomène de maturation. L’artiste s’insinue dans le temps : des mois voire des années peuvent s’écouler entre le moment de la première prise de vue et l’œuvre finale. Ainsi, les photographies portent en elles l’expérience de la durée, témoignent du temps de la production. Le processus est essentiel en ce qu’il révèle l’essence même de ces photographies. Le travail réalisé en Islande révèle à son tour la position de retrait adoptée par l’artiste. Agnel filme, à l’aide d’une camera obscura numérique, la succession de paysages depuis la route qu’elle emprunte à bord de sa voiture jusqu’à la nature environnante à partir d’un bateau-camion. Elle ne se confronte pas directement au réel mais l’appréhende de manière détournée, afin d’en révéler ce qui n’est pas visible par la simple expérience directe. Les données du réel ne sont pas enregistrées telles quelles, elles sont altérées par le dispositif filmique mis en place par l’artiste. Le réel devient une matière lumineuse que l’artiste manie à son gré et maîtrise en variant le diamètre du trou permettant le passage de la lumière du sténopé. L’image apparaît inversée, mais l’artiste n’opère pas de rotation pour la rétablir de manière mimétique. Mer et ciel se fondent en masses informes, les éléments naturels perdent leur fonction de référents identifiables pour se muer en motifs abstraits. Cette latence est de nouveau à l’œuvre quand l’artiste, réitérant l’expérience de la durée, photographie des visages qu’elle fait surgir de l’obscurité, dans une esthétique de l’émergence. La frontalité des sujets photographiés, par exemple dans la série Les Eblouis, contraste avec la disparition du modèle qui se fond dans l’arrière- plan noir. Travaillant à la chambre, l’artiste choisit de renouer avec les contraintes des débuts de la photographie, à savoir des temps de pose longs, témoignant de son désir de capturer, davantage qu’un instant, une durée. L’attention si particulière accordée au dispositif révèle une volonté de la part de l’artiste de définir sa relation au réel. Les différentes étapes nécessaires à l’élaboration d’une photographie sont autant d’entraves entre elle et le monde : le grain accentué et les couleurs altérées, l’image s’achemine vers son état final. Les dispositifs engendrent une durée de par leur nature même ou par le processus qu’ils supposent et éclairent le spectateur quant au rôle que l’artiste assigne à la photographie.

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Végétales / Jacky Chriqui / 2000

L’obscurité et l’émergence sont les deux principes qui mettent en lumière les formes contemplées par Juliette Agnel. Avant de les livrer à la capture mécanique de la photographie, dans une lenteur proche de l’immobilité, les natures s’imposent à son regard. Pour traduire hors d’elle cet envahissement de l’être par la fascination de ce qui s’érige ou de ce qui se révèle, elle procède à des tirages de grande dimension. Leur échelle monumentale n’a pas pour but de rivaliser avec la taille humaine mais impose une rencontre silencieuse. Sans hâte, la chose se révèle et s’impose par sa croissance imperceptible. La sensualité du détail, son satin, confèrent au regard une dimension tactile. Ce qui advient échappe à la temporalité comme si l’obturateur de l’appareil restait bloqué, l’œil ouvert sur la nuit du monde et ses lueurs fragiles.

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